« Le plaisir m'est identique, bien que je ne sois qu'une humble tragédienne dont les talents n'égalent en rien ceux des Immortels... » Les quelques mots de l’humaine le laissa songeur. Il est vrai que pour l’instant, elle n’était qu’une humble créature dont la beauté rivalisait facilement avec celles des plus sulfureuses déesses de la Grèce antique, mais cela ne durerait pas très longtemps. Aro était convaincu d’une chose : qu’il lui offrirait l’immortalité. Il ne pouvait la laisser vieillir en ce bas-monde, l’abandonnant à une vie misérable, côtoyant des personnes qui ne devraient pas même mériter le droit de l’observer. Non, elle valait bien mieux qu’eux. « Ne dites pas cela ma chère, vous n’en savez rien… » susurra le grec de son timbre de voix doux, « Un jour, peut-être, vous aurez l’opportunité de vous clamer Immortelle. »

Sur cette dernière tirade, Aro leva sa main très lentement de manière à la glisser contre la nuque de la jeune humaine. Il promena alors ses doigts fins et froids le long de ses tempes, jusqu’à atteindre sa chevelure blonde, aussi soyeuse que de la soie, et aussi resplendissante, lumineuse, et éclatante de santé que l’astre du jour.

« Je pourrais vous offrir cela, si tel est votre désir, Sulpicia… » Je vous offrirai tout ce que la Terre peut bien porter pour vous garder près de moi…se retint-il de dire avec difficulté. Mais ses pensées reflétaient la plus stricte des vérités. Il lui aurait tout donné pour la faire sienne. Tous ses désirs, ses moindres caprices auraient été comblés à ses côtés. Il aurait fait d'elle sa Reine. Il voulait Sulpicia et aucune autre femme, car il sentait au plus profond de lui-même cette attirance inexplicable qui le liait à elle. Elle était sa partenaire, celle que dans son monde, on appellerait une âme-sœur, il le savait.

Il trouvait sa soudaine timidité très touchante. Cela signifiait qu’elle était impressionnée par ce qu’il était. Aro ne put masquer un sourire amusé par la situation ; observant la jeune tragédienne baisser les yeux vers son bouquet contenant quelques roses aux pétales d’un rouge sang. Ces roses étaient aussi belles qu’elle, sans écorchure, d’un éclat lumineux de part les reflets lunaires. Des roses parfaites, comme la beauté de Sulpicia.

« Vos yeux...On dirait qu'ils sont...rouges. »

Son visage aux traits fins et au charisme irréel sembla se figer durant l’espace d’une seconde. Il savait qu’elle finirait bien par le remarquer, et il avait crut qu’elle l’avait déjà fait, mais avait préféré ne rien dire. Aro se pinça les lèvres, étrangement tendu. Bien qu’il était assuré de l’affection que lui portait Sulpicia, il craignait qu’elle ne le repousse à cause de sa condition. Il était un vampire. Elle était une humaine. Et il se nourrissait des humains, il avait tendance à les tuer, même à s’en délecter. Comment pourrait-elle l’accepter ? Après tout, il aurait très bien pu dévorer ses compagnons tragédiens s’il en avait eut envie. Et ô combien il en avait envie certaines fois, à les voir lui tourner autour…Mais cette révélation n'était rien en comparaison à ce qu'il souhaitait lui faire. Car pour devenir sienne, Aro devra la transformer, et il craignait également qu'elle n'en éprouve pas l'envie, qu'elle ne soit pas encore prête, bien que pour cela, il serait prêt à attendre le temps qu'il faudra.

« C’est bien vrai, ma douce poétesse, » répondit-il après un long silence, presque évasivement, « ils sont…comparables à ces roses que vous tenez fermement contre votre poitrine, » il lâcha sa chevelure en interrompant ses caresses et vint effleurer les doux pétales de ces roses du bout des doigts lascivement. « mais j’ose espérer que cette confidence ne viendra point troubler votre si ravissant visage. »

« Oserais-je seulement avouer qu'être immortelle à vos côtés serait le plus grand honneur qui puisse m'être fait ? »

Aro n’avait jamais vu un tel déni de leur condition de toute son existence. Les humains étaient toujours persuadés qu’il existait une forme de beauté dans l’immortalité. Aro se considérait lui-même comme un monstre, au même titre que bon nombre de leurs semblables ; mais bien plus que cela, il se clamait même comparable à une Divinité. Monstres, peut-être, mais d'une grande beauté. Ils étaient assoiffés de sang, vicieux, sournois et pourtant, on les désignaient comme des divinités. Aro savait que cette admiration ne durerait pas éternellement, au plus grand désarroi de la plupart des vampires. Il existerait une époque où cette dévotion disparaîtrait pour se transformer en une forme de peur muée en haine, et où les mortels finiraient par trouver des moyens de nuire aux immortels. C’est pour cette raison qu’Aro tenait à conserver le secret sur leur existence. Si aujourd’hui, les immortels ne craignaient guère le danger, qu’est ce que le futur leur réserverait ? Les humains apprenaient vite, très vite, et ce ne serait plus qu’une question de siècles avant qu’ils ne comprennent que même les immortels possédaient des faiblesses auparavant insoupçonnées. « Μπορείτε να συμπληρώσετε την καρδιά μου με χαρά γυαλιστερό, γλυκό ...* » chuchota-t-il dans sa langue maternelle, le plus suavement possible. Ses mots semblèrent presque inaudibles, tant il les avait faiblement murmurés.

Il sembla pensif durant un moment, comme perdu dans ses propres pensées, tout en fixant les iris clairs de la divine humaine désespérément. Puis, il sembla se réveiller de se songes. Aro n’éprouvait plus aucun doute à présent, et il décida de lui montrer ce qui l’attendait si elle concédait à lui appartenir. Le grec prit sa main dans la sienne, de façon à brusquement mais avec grâce, l’attirer contre son corps. Il s’offrit le luxe de lire en elle, de façon à confirmer ses soupçons. Elle était sur la bonne voie. Et ce qu’il lut en elle, l’enchanta suffisamment pour le décider à lui faire cette éternelle proposition maintenant. « Vous avez très certainement entendu parler de ces légendes anciennes parlant d’êtres immortels et assoiffés de sang, n’est-ce-pas ? » L’instant d’après, il se volatilisa et réapparût au sommet du monument qui servait de théâtre, du haut de cet imprenable édifice en pierre blanche, posé sur l’une de ces gigantesques colonnes grecques, les lourds pans de sa cape rougeâtre virevoltant sous ses pas ; la jeune tragédienne enlacée dans ses bras. Il tenait à lui montrer ce qu’il pouvait lui offrir, c’est à dire tout, l’immensité même de la Grèce. Ainsi que ce qu’il était en réalité. Les rayons lunaires vinrent éclairer sa peau de marbre et faire scintiller ces deux orbes rougeâtres qu’étaient ses yeux. « Ces légendes existent bien, douce enfant. Mais contrairement à certains, je préfère considérer l’immortalité comme un cadeau envoyé des Dieux pour nous élever à leur rang à notre tour. Imaginez la vie que vous pourriez avoir, les capacités sensorielles qui seraient les vôtres, ainsi que ce monde si vaste que vous aurez le loisir d’explorer durant des siècles à mes côtés. » lui dit-il de sa voix chantante, souriant, excité à l’idée de vivre pour l’éternité en sa compagnie. Il désigna alors en exemple l’entièreté du lieu de son bras droit, l'autre toujours fermement enserré autour de la taille de la tragédienne grecque. A cette hauteur, ils surplombaient le merveilleux panorama d'Athènes, citée éclairée par de nombreuses torches enflammées qui leur paraissaient à cette distance comparables à des petits points rouges dans la nuit. « Mais ce ne sera pas sans douleur, je le crains ma douce, sans vous expliquer la souffrance éphémère d'une pareille transformation, vous devrez renoncer à votre humanité ainsi qu'à votre vie actuelle, aux personnes que vous connaissez ; mais cela reste l'unique moyen de passer l'éternité auprès de moi. Vous me combleriez d'honneur si vous acceptiez ce sacrifice... » reprit Aro sur un ton plus grave. Son engouement était certes motivé par un désir plus ou moins égoïste de la garder avec lui pour toujours, quitte à la pousser à renoncer à sa vie entière ; mais Aro n'expliquait pas ce besoin d'agir ainsi. Il la voulait avec une telle passion, que n'importe quelle divinité en aurait frémit d'effroi. Il aurait aimé lui montrer tellement de splendeurs, l’émerveiller de jour en jour, et cette sensation aérienne de bonheur l’étonnait par moments ; s’ignorant aussi possessif envers une femme autre que sa jeune soeur. Son instinct le poussait à être auprès d'elle, et l'idée même d'être séparé un seul instant de cette femme le rendait malade ; il aurait tout fait, tout accompli, même les pires choses, pour s'assurer qu'elle lui appartiendrait corps et âme. Il l'aimait d'une telle force que s'en devenait vital. Elle était son âme sœur. Aro savait que Sulpicia était sa partenaire, tout comme Didyme était celle de Marcus, ou Athenodora celle de Caïus. Il l’avait sût dés le premier regard, dés qu’il avait humé sa délicate odeur. Et les propos de Marcus n’ont fait au final que confirmer ses soupçons. « Je vous ai attendu pendant plus de mille ans, Sulpicia. Si vous imaginiez à quel point vous me ravissez de votre présence, si vous saviez comme…je suis heureux d’entendre vos battements de cœur, si vous pouviez deviner ce que je pourrais faire pour vous satisfaire...Pour vous convaincre du lien qui unie nos âmes… Si mon cœur pouvait encore émettre le moindre battement, il ne le produirait que grâce à vous tant vous l’avez ensorcelé. » avoua-t-il dans un murmure, sa voix désormais aussi douce que de la soie, l’hypnotisant tel un charmeur de serpents. Les premiers siècles dans cette nouvelle condition s’étaient passés à merveille, bien qu’au fil du temps, à force de subir l’amour inconsidéré de ses frères et de leurs partenaires, il avait vite commencé à éprouver une certaine gêne et s’était même convaincu qu’aucune femme ne lui conviendrait à ce point, et qu’il ne saurait établir ce genre de relation amoureuse. Oh bien entendu, Aro avait connu bon nombre de femmes, des passades, elles ne représentaient en rien ce que beaucoup considéraient comme la personne idéale. Aucune ne lui était destinée, et bien qu’il avait éprouvé beaucoup de plaisir en leur compagnie, cette sensation de vide émotionnel continuait le taillader à chaque fois. Il avait attendu sa partenaire pendant plus de mille ans, et enfin, elle lui apparaissait. Enfin, il avait l’occasion inespérée de faire sienne celle qui lui était destinée par les Dieux.

« Soyez mienne, Sulpicia, pour la fin des temps. » lui déclara-t-il avec pour une des rares fois de son existence, une once de sincérité. « Épousez-moi. » ajouta-t-il avec enthousiasme, ses lèvres se courbant en un fin sourire charmeur. Avec une exceptionnelle rapidité,  il sortit de l’intérieur de sa cape noirâtre une petite boite qu’il ouvrit devant elle ; exposant une splendide bague composée d’un anneau en or fin et d’un somptueux rubis étincelant de mille feux. Aro avait songé que le rubis était la pierre précieuse idéale pour sa compagne, il s’harmoniserait à merveille avec les futurs yeux de sang de Sulpicia.



NOTES :
• Vous remplissez mon cœur glacé de joie, ma douce…